du 14/04/2014 au 27/12/2014
« Comme dans toutes mes œuvres, je suis à la fois le personnage et le metteur en scène. Mon travail est basé sur des situations spécifiques et des personnages avec qui je suis familier, des choses que je désire, que j‘élabore dans mon imagination et, qu’ensuite j’interprète. J’emprunte une identité. Pour y réussir, je me plonge dans l’état physique et mental nécessaire. C’est une façon d’échapper à moi-même. Un passage solitaire. Je suis un homme solitaire. »
A travers quinze photographies de l’artiste camerounais Samuel Fosso, la Fondation Zinsou invite le visiteur à découvrir lors d’un voyage chronologique, la démarche créative, de ce photographe hors du commun. Rien ne prédisposait Samuel Fosso à devenir photographe. Pourtant fuyant les horreurs de la guerre du Biafra et laissant derrière lui sa famille, il ouvrira en 1975 à Bangui, son premier studio photo : « Studio Nationale ». Depuis il n’a eu cesse de jouer et ruser avec les ambigüités d’un genre dans lequel il excelle : l’autoportrait.
« J’ai posé devant mon appareil photo et pour la première fois, je me suis senti en vie. J’étais sain. Je devenais adulte. Ca été une sorte de rite de passage »
D’une approche narcissique dans les années 70, où la volonté d’être le témoin d’une époque se cache derrière un travestissement exalté de la beauté masculine, aux mises en scène colorées et stéréotypées de la Série Tati, Samuel Fosso traduit dans ses autoportraits non pas un monologue avec lui même mais un dialogue avec le spectateur, l’art et l’Histoire en toile de fond.
Accueilli dans un espace noir et blanc, le visiteur découvre l’univers de Samuel Fosso par une série de cinq photographies illustrant ses débuts lorsqu’il a ouvert son studio, apprivoisant encore son appareil photo.
A cette époque, Fosso fait des portraits noir et blanc dans son studio dans la digne tradition de ses ainés maliens, Seydou Keïta ou Malick Sidibé. Mais là où Keïta mettait un fond drapé et prêtait des accessoires luxueux, exaltant la réussite et l’image de soi en réponse aux stéréotypes de la colonisation inscrivant ainsi ses photographies dans l’immortalité, Fosso, lui, propose des fonds peints, d’une incroyable modernité, avec des buildings flambants neufs, un réseauroutier développé et des accessoires à la pointe de l’époque balayant ainsi l’immortalité pour faire place à la modernité.
Cette modernité devient essentielle pour Fosso et on la percevra avec une force inouïe dans ses premiers autoportraits dans les années 1970.
La dernière photographie, présentée dans cet espace, illustre la métamorphose de l’artisan- photographe en artiste-photographe. Cette transformation se fera par l’autoportrait.
Le soir, quand les derniers clients sont partis, Samuel Fosso enfile des chemises moulantes, des chaussures à plateformes ou encore des lunettes noires qui suggèrent tout le glamour et l’insolence des années 70.
« Tout le monde se sent beau, mais moi, je sais que je suis beau. »
Et là devant l’objectif de son appareil photo, il ressent le besoin vital, quasi physiologique, de se photographier ; il prend la pose il devient son propre modèle.
Regard narcissique d’un adolescent ou affirmation d’une nouvelle identité ? Certainement les deux. Samuel Fosso se dévoile imaginant un monde réel qui lui correspond, qui le libère de son histoire. Un monde qui, parce qu’il l’a inventé, peut l’extraire de la réalité aride de la vie quotidienne.
Sans se soucier des contingences extérieures Samuel Fosso se façonne un monde à son image.
L’autoportrait comme psychanalyse. L’autoportrait devient pour Fosso un rite initiatique qui le libère de son histoire lui permettant de passer de l’enfance à l’âge adulte comme une deuxième naissance, la naissance d’un artiste.
Au 1er étage une scénographie colorée met en scène 10 photographies de la série Tati réalisée sur commande en 1997 pour le 50ème anniversaire de la célèbre enseigne de magasins français.
Fosso, avec Keïta et Sidibé, sont invités pour l’occasion à photographier n’importe quel passant dans la rue. Une tente de studio est dressée en plein cœur de Barbès à Paris. Fosso transcendera la commande, cet art qui rime souvent avec réalisation d’exception et qui contraint l’artiste à aller au-delà de lui même, l’amenant à créer quelque chose qu’il n’aurait jamais créé.
Frénésie de couleurs, de vêtements extravagants, Fosso se met en scène empruntant des rôles de composition de plus en plus diversifiés et forts : marin, pirate, joueur de golf, cadre supérieur ou encore une femme fatale avec « La Bourgeoise ».
Fosso vient de créer son style ! Malick Sidibé émerveillé dira de lui :
« Son style c’est lui même. Il a inventé sa propre réflexion ».
Mais, au-delà de cette mascarade joyeuse et colorée, se dégage une dimension politique affichée. Révélation d’une critique acerbe et puissante, proche des grandes comédies satiriques du siècle des Lumières.
La mise en scène est utilisée à des fins critiques : il se sert de son image et du déguisement pour se jouer des clichés occidentaux ou encore de la politique.
Ces photographies sont une rupture dans la quête ingénue de l’artiste. Il n’est plus le sujet de son autoportrait mais le vecteur d’une expression, d’un message. Le premier rôle n’est plus tenu par Samuel Fosso mais par le message qu’il veut transmettre, comme en témoignent clairement « La femme américaine libérée » ou encore « Le Chef (celui qui a vendu l’Afrique aux colons) »
Pour clore la visite de l’exposition le visiteur peut, s’il le désire, s’essayer à l’art de l’autoportrait dans un studio photo créé pour l’occasion. Un salon d’habillage et des accessoires sont mis à disposition.