17 Oct « Je suis le griot de mes portraits… »
Malick Sidibé, Mon chapeau et pattes d’éléphant, 1974 ©Malick Sidibé
« Mon parcours est très long. Je suis portraitiste. Je peux dire que je suis « le griot[1] de mes portraits ». Qu’est-ce que cela veut dire « être le griot de ses portraits » ? Les personnes qui viennent au studio, je les arrange. Je flatte mes sujets. Je cache leurs défauts dans mes prises de vues grâce au choix des éclairages. C’est-à-dire que je leur donne des positions qui conviennent mieux et je cache leurs défauts, car il faut que le sujet soit content de mes photos. Donc je suis le griot ! Je flatte ! J’ajuste leur tenue, si le pantalon ou la robe sont mal faits, je viens et j’ajuste. Donc je suis le griot de mes sujets !
Nos ancêtres n’ont pas eu la chance d’avoir la photo. Ils n’avaient que le miroir. Alors quand la photographie est venue, vraiment c’était bien pour les africains. L’Afrique aime les photos ! Avec l’arrivée des studios en Afrique, les gens ont commencé à montrer ce qu’ils étaient, ce qu’ils avaient, individuellement. Quand vous prenez une photo dans le vif, dans la foule, ce n’est plus individuel.
Dans le studio, les gens venaient avec des montres, des habits très chers, ils voulaient montrer qu’ils avaient eu cela. Il y avait même des gens, quand ils venaient au studio, ils prenaient la cigarette, même s’ils ne fumaient pas, pour faire semblant de fumer… Vous voyez, cela montrait qu’ils étaient hors même de l’Afrique, parce que la cigarette ce n’est pas africain.
Dans le studio, ils montraient (surtout les femmes) les tresses, les habits, les chaussures, les sacoches…
Je fais un métier très social, même dans les photos on travaille sur la psychologie de chaque personne. Je suis obligé, en tant que portraitiste, que la photo soit bien, même s’il a des défauts, je change ses défauts. Et puis cela se paye, si vous faites un mauvais travail, cela ne se payera pas. Donc je suis obligé de bien travailler et c’est grâce à cela que mes photographies sont bonnes et aimées.
Et les jeunes, ce n’est pas comme les anciens qui s’arrêtaient comme des momies, moi je n’aime pas ça dans mes sujets. Je les fais bouger. Il faut que la photo soit vivante. Il faut que ce soit vivant parce que les photos sont destinées à des amis ou à des petits enfants. Il faut montrer que le père était comme cela, que le grand-père était comme cela… ça, c’est le portrait ! La photo ne doit pas donner plus tard une certaine tristesse aux petits-enfants ou aux arrière-petits-enfants qui la regardent. Je travaille dans la gaieté pour pouvoir faire briller les esprits dans mes portraits ! Si le client est gêné, je souris avec lui, je crée avec lui une certaine sympathie, je lui souris pour qu’il suive mes instructions et ainsi réussir le cliché.
Alors cela m’a permis d’être social et je n’ai pas quitté Bamako pour mes photos, j’ai tout fait avec la jeunesse malienne…et les vieux aussi, les enfants, tout le monde. Je crois que c’est ma chance. J’ai fait toutes mes photos en Afrique, pas en Europe. A mes débuts, je n’ai pas pensé au futur que pourraient avoir mes œuvres, je voulais seulement bien faire. Lorsqu’une photo est mauvaise pour le client, elle l’est pour moi aussi. J’ai travaillé et tout cela est arrivé. »
Malick Sidibé
[1] Communicateur traditionnel en Afrique. Poète, chanteur, musicien, le griot raconte des mythes ou des histoires passées. On lui attribut parfois des pouvoirs surnaturels.